–9 % de fréquentation en 6 ans : pourquoi les Français désertent les restaurants ?

Restauration française : fréquentation en baisse, coûts en hausse et pénurie de main-d’œuvre, malgré 1 million d’emplois concernés.

Laura de Ohmyseason

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Des salles à moitié vides, des additions qui grimpent, des restaurateurs qui s’inquiètent, et des clients qui arbitrent leurs sorties comme jamais : la restauration française traverse une période charnière. Une tendance illustrée ces derniers jours dans le reportage TF1 du 20h, où plusieurs professionnels témoignent d’une chute nette de leur fréquentation depuis le printemps.

À l’heure où la France compte près d’un million d’actifs dans la restauration selon l’Insee, un secteur vital pour l’économie, pour l’emploi local et pour tout l’écosystème touristique, cette évolution n’est pas anodine.

Derrière les portes entrouvertes des établissements, c’est un modèle entier qui vacille, pris entre une baisse de la demande, une explosion des coûts et une pénurie de main-d’œuvre qui n’a jamais été aussi forte. À mi-novembre, alors que la saison estivale n’a pas comblé les attentes, l’inquiétude grandit : le marché est-il en train de se recalibrer durablement ?

Un recul inédit depuis le printemps, confirmé par un été sous tension

La statistique la plus frappante émane du reportage : –9 % de fréquentation en six ans, une baisse continue mais qui s’est accélérée « depuis avril », selon plusieurs restaurateurs interrogés. Pour certains, la chute atteint désormais 25 à 30 %.

Dans de nombreux établissements, les scènes se répètent : un service du midi réduit à une poignée de plats envoyés, alors que les salles devraient être pleines. Les équipes de terrain parlent d’un phénomène nouveau, qui ne ressemble ni à un creux saisonnier ni à une crise ponctuelle.

L’été, censé fonctionner comme une soupape, n’a pas permis de relancer la machine. De nombreux professionnels ont fait état de 15 à 20 % de baisse, un chiffre déjà alarmant pour un secteur qui dépend largement des mois de juillet et août pour équilibrer son année. Or, en 2025, même les zones touristiques habituellement bondées ont constaté un ralentissement : menus sautés, budgets serrés, et davantage de repas pris en extérieur… mais sous d’autres formes.

Cette combinaison : recul printanier + été en demi-teinte, constitue aujourd’hui un signal fort : la demande ne se contracte pas temporairement, elle se déplace.

L’addition s’alourdit, les Français tranchent

La seconde explication est simple : le prix d’un repas a bondi de 22 % en trois ans. Avec l’inflation alimentaire, énergétique et immobilière, les restaurateurs n’ont eu d’autre choix que de revoir leurs cartes.

L’exemple d’un professionnel interrogé par TF1 illustre parfaitement la situation : l’entrecôte française qu’il achetait 17 €/kg lui coûte aujourd’hui 24 € au minimum. Son plat a donc pris 6 € en un an, une hausse vécue comme indispensable pour maintenir la qualité.

Pour les clients, ces ajustements se traduisent par des arbitrages très concrets. Un habitué confie espacer ses sorties, autrefois hebdomadaires, désormais « toutes les trois semaines ».

La sortie au restaurant, longtemps perçue comme un acte spontané et régulier, devient une dépense réfléchie, presque planifiée.
Dans les classes moyennes, elle glisse progressivement du statut de loisir courant à celui de plaisir occasionnel.

Les clients ne disparaissent pas : ils migrent

Le véritable changement n’est pas une baisse du nombre de repas pris hors domicile… mais un déplacement massif vers d’autres formats.

Les boulangeries montent en puissance

Beaucoup ont investi dans le salé, parfois jusqu’à transformer leur modèle. Dans certaines enseignes, la partie restauration représente désormais 40 % du chiffre d’affaires.
Les clients apprécient la rapidité, les prix contenus et la possibilité de manger « bien et vite », ce qui répond à une évolution profonde des modes de vie.

Le fast-food domine désormais les sorties

La restauration rapide pèse aujourd’hui près d’une sortie sur deux.
Ce n’est plus seulement un secteur complémentaire : c’est devenu la norme pour une large partie de la population.
Le ticket moyen, la prévisibilité des prix et l’absence de surprise sur la facture expliquent largement cette domination.

Le snacking opportuniste progresse

Pique-niques, repas à emporter, plats du jour ultra-simples, pauses courtes entre deux rendez-vous…
Les consommateurs adoptent une logique de flexibilité maximale, orientée d’abord par le coût, ensuite par la rapidité.

Ce n’est donc pas un désamour du « fait maison » ou du service en salle : c’est un rééquilibrage du budget et une recherche de solutions plus rapides, plus lisibles et plus abordables.

Face au choc, les restaurateurs innovent, simplifient, repensent leur modèle

Pour contrer la baisse de fréquentation, certains établissements testent des solutions inédites.

Le menu obligatoire à 25 €

À Lyon, un restaurant a abandonné le système classique de la carte pour un menu unique : deux entrées, trois plats (viande / poisson / végé).
L’objectif :

  • stabiliser le ticket moyen,
  • éviter qu’une table soit occupée pour un plat à 10 €,
  • réduire le gaspillage et mieux anticiper les achats.

Selon la gérante, ce changement de formule a permis une hausse du chiffre d’affaires, tout en rendant l’organisation plus lisible.

Les menus anti-crise à moins de 12 €

D’autres restaurateurs tentent de regagner du volume avec des prix cassés, même si la rentabilité devient alors un casse-tête.
Ces menus, entre 8 et 12 €, sont perçus comme une manière d’attirer des clients qui surveillent chaque euro.

La réduction des cartes

Tendance largement visible :

  • moins de références,
  • produits plus accessibles,
  • rotation plus rapide,
  • meilleure maîtrise des coûts.

Cette adaptation est plus subie que choisie, mais elle fait désormais partie du paysage.

Un secteur vital pour l’emploi… qui manque toujours de bras

Selon l’Insee, la restauration emploie près d’un million de personnes en France. C’est l’un des tout premiers employeurs du pays, avec une diversité de métiers unique : du cuisinier au serveur, du chef de rang au plongeur, du responsable de salle aux emplois saisonniers. C’est un secteur qui fait vivre autant les grandes métropoles que les villages touristiques.

Et pourtant, c’est ce même secteur, si essentiel à l’économie et au tissu social, qui continue de souffrir d’une pénurie de main-d’œuvre structurelle. Malgré la baisse actuelle de fréquentation, les restaurateurs peinent toujours à recruter. Beaucoup expliquent qu’ils tournent déjà avec des équipes réduites, parfois épuisées, et qu’ils n’ont ni la marge financière ni la visibilité suffisante pour améliorer les conditions de travail ou fidéliser durablement.

Le paradoxe est saisissant : les salles se vident un peu, mais les besoins restent intacts. Les départs massifs post-Covid ont laissé des cicatrices profondes, et nombre de professionnels confient n’avoir jamais retrouvé la stabilité d’avant 2020. La baisse d’activité n’a pas résolu la pénurie ; elle l’a rendue plus complexe à gérer.

“Une catastrophe pour la profession” : un paysage qui se redessine

Pour certains experts du secteur, nous ne sommes plus face à une simple conjoncture difficile mais à une recomposition accélérée. Franck Chaumès, président de l’UMIH, rappelle que 25 restaurants ferment chaque jour en France. Un chiffre qui surprend par son ampleur et qui montre à quel point les équilibres sont fragiles.

Derrière ces fermetures, c’est un pan entier de la vie française qui se voit bousculé. Les restaurants jouent un rôle clé dans l’animation des centres-villes, l’attractivité touristique, l’emploi des jeunes ou encore la dynamique des territoires ruraux. Lorsqu’un établissement baisse le rideau, ce n’est pas seulement un commerce qui disparaît : c’est un point de repère social, un lieu de convivialité, un employeur local.

L’ensemble du secteur ressent cette pression : la petite brasserie de quartier qui voit ses habitués venir moins souvent, l’établissement gastronomique qui renégocie ses marges à la baisse, les chaînes qui doivent repenser leurs cartes. Chacun cherche une voie de résilience, une manière de rester attractif dans un contexte où les Français arbitrent différemment leurs dépenses.

Conclusion : une recomposition profonde, pas une parenthèse

À mi-novembre, le bilan est clair : la restauration ne traverse pas un simple trou d’air.
Ce qui se joue aujourd’hui ressemble à une recomposition durable du marché, sous la pression du pouvoir d’achat, de l’évolution des modes de vie et de la concurrence des nouveaux formats alimentaires.

Les Français n’ont pas cessé de manger dehors.
Ils mangent ailleurs, autrement, à un autre prix.

Pour un secteur qui fait vivre près d’un million de personnes, l’enjeu dépasse largement les terrasses vides : il touche à la pérennité d’un modèle culturel, social et économique.

La restauration française a déjà montré sa capacité à se réinventer.
Mais jamais elle n’avait dû le faire avec autant d’urgence… et dans un contexte aussi contraint.