Plongez dans les coulisses de la restauration française et découvrez comment briser le silence autour des violences et de l’exploitation des talents

La récente affaire Jean Imbert, qui a ravivé le débat sur les dérives de pouvoir et les comportements abusifs au sommet de la gastronomie, n’a fait qu’effleurer un problème bien plus profond : la violence structurelle qui gangrène la restauration française. Ce n’est pas un dérapage individuel, mais le symptôme d’un système qui, depuis des décennies, glorifie la souffrance, l’humiliation et l’excès au nom de la passion.
C’est ce que dénonce avec force Nora Bouazzouni, journaliste et autrice du livre Violences en cuisine – Une omerta à la française. Son enquête, fruit de cinq années de témoignages, révèle ce que beaucoup savaient mais taisaient : derrière le mythe du chef étoilé, la réalité d’un secteur qui broie les corps et les esprits.

Chez Ohmyseason, nous accompagnons au quotidien celles et ceux qui font vivre cette restauration, notamment les saisonniers, souvent les premiers touchés par ces dérives.
Comprendre cette mécanique de violence, c’est aussi réfléchir à comment la casser, pour bâtir un secteur plus humain, plus juste, et durable.
La violence en cuisine n’est pas une dérive moderne : elle est historique, presque institutionnalisée.
Le modèle de la brigade d’Auguste Escoffier, au début du XXᵉ siècle, a structuré la cuisine à l’image d’une armée. Chaque poste, chaque hiérarchie, chaque ordre devait être exécuté sans discuter. À l’époque, cette organisation représentait un progrès d’efficacité. Mais, avec le temps, elle a aussi gravé dans le marbre une logique de domination : le chef comme figure absolue, l’autorité comme outil de contrôle, et l’humiliation comme mode de management.
Cette tradition, transmise de génération en génération, s’est muée en culture.
Crier, insulter, lancer des assiettes, tout cela est devenu acceptable, parfois même admiré. On a fini par confondre exigence et maltraitance.
Les jeunes apprentis sont conditionnés à croire que “souffrir, c’est apprendre”. Or, ce qu’on appelle “passion” n’est souvent qu’un autre mot pour “exploitation”.
Comme le rappelle Bouazzouni : “Le métier-passion, c’est souvent le paravent de la précarité.”
Derrière la façade des grandes maisons et des cartes étoilées se cache une réalité économique brutale : heures non payées, semaines à rallonge, salaires dérisoires.
Selon l’enquête, la quasi-totalité des personnes interrogées affirment n’avoir jamais vu la couleur de leurs heures supplémentaires au-delà de 43 heures. Beaucoup travaillent jusqu’à 80 heures par semaine, parfois sans contrat clair, ni repos compensateur.
Cette exploitation est légitimée par un système lui-même permissif. La Convention Collective HCR, censée protéger les salariés, est parmi les plus défavorables du pays : heures faiblement majorées, amplitude maximale élevée, absence de compensation réelle.
Et quand bien même cette convention est déjà peu protectrice, elle est encore rarement appliquée.
Pour les saisonniers, la situation est encore plus précaire.
Leur dépendance à un employeur, l’absence de représentation syndicale, la peur de ne pas être repris la saison suivante… tout cela crée un terrain propice à la soumission. Beaucoup acceptent l’inacceptable, par peur ou nécessité.
Ce cercle vicieux nourrit l’idée que “c’est normal”, que “tout le monde passe par là”. Et c’est justement cette banalisation qui rend le changement si difficile.
Pourquoi cette violence perdure-t-elle ? Parce qu’elle est protégée.
Protégée par la sacralisation du chef, figure intouchable de la culture française.
En France, le chef n’est pas seulement un patron : c’est un symbole national, un ambassadeur de la gastronomie. Le remettre en cause, c’est souvent perçu comme une trahison.
Résultat : le silence s’installe, alimenté par la peur, la honte et le déni collectif.
Les témoins et les victimes racontent tous le même scénario : la peur de parler, les menaces, l’isolement. Celles et ceux qui dénoncent se retrouvent souvent blacklistés ou moqués.
Même l’entourage contribue parfois au mutisme :
“Tu savais dans quoi tu t’embarquais.”
“C’est comme ça dans le métier.”
Des phrases qui, sous couvert de réalisme, cautionnent l’inacceptable.
Et pour les femmes, les personnes racisées ou LGBTQ+, la violence est démultipliée.
Le sexisme, les discriminations et le harcèlement restent omniprésents.
Chez Ohmyseason, nous le voyons concrètement : 52 % de nos utilisateurs sont des femmes, souvent jeunes, souvent saisonnières. Leur sécurité, leur bien-être et leur reconnaissance ne devraient jamais dépendre du bon vouloir d’un supérieur hiérarchique.
Mais tout n’est pas perdu.
Si le livre de Nora Bouazzouni tire la sonnette d’alarme, il met aussi en avant des pistes concrètes de transformation. Et certaines sont déjà à l’œuvre.
D’abord, la formation. Les écoles hôtelières doivent former autrement : enseigner la gestion d’équipe, la communication, la prévention des risques psychosociaux.
Savoir diriger, c’est aussi savoir écouter. Le management bienveillant n’est pas une faiblesse, c’est une compétence.
Ensuite, le droit.
Les pouvoirs publics doivent renforcer les contrôles, réviser la convention HCR et donner à l’Inspection du travail les moyens d’agir. L’absence de sanctions réelles est l’un des carburants de l’impunité actuelle.
Enfin, la mobilisation.
Des collectifs comme Bondir, cofondé par la cheffe Manon Fleury, ou Mise en Place (MEP), œuvrent pour changer les mentalités. Ils interviennent dans les écoles, accompagnent juridiquement les victimes et prônent une restauration respectueuse, inclusive et durable.
Ces initiatives, encore marginales, prouvent que l’exigence n’est pas incompatible avec l’humanité.
Elles redonnent de l’espoir à une génération qui refuse de reproduire ce qu’elle a subi.
Chez Ohmyseason, nous voyons chaque jour des employeurs qui font bien les choses. Des établissements qui logent correctement leurs salariés, respectent leurs horaires, valorisent leurs équipes. Nous croyons que c’est cette nouvelle génération de restaurateurs, responsables, attentifs et transparents, qui incarne l’avenir du secteur.
Notre mission est de rendre visibles ces bons exemples, et d’encourager les pratiques vertueuses.
Parce que le recrutement n’est pas qu’une question de CV : c’est un acte social, un engagement envers ceux qui travaillent dur pour faire vivre le tourisme et la gastronomie française.
Le travail saisonnier, bien encadré, peut redevenir un espace d’apprentissage, de rencontre et d’ascension.
Mais cela suppose un changement de paradigme : passer de la peur à la confiance, de l’autorité au respect, du silence à la parole.
La violence en cuisine n’est pas une fatalité.
Elle n’est pas le prix de l’excellence, ni une tradition à préserver.
C’est un dysfonctionnement collectif que nous devons regarder en face, sans détour, pour reconstruire autrement.
Le changement ne viendra pas d’une figure héroïque, mais d’un mouvement d’ensemble : des chefs qui refusent les cris, des écoles qui enseignent l’écoute, des saisonniers qui osent parler, des employeurs qui montrent l’exemple.
Chez Ohmyseason, nous croyons qu’un autre modèle est possible : exigeant, mais juste ; passionné, mais humain.
Et ce modèle commence toujours par une chose simple : la parole.
🧡 Vous avez vécu ou observé des violences en cuisine ?
Ou, au contraire, vous souhaitez partager une expérience positive de travail ?
Écrivez-nous à 👉 contact@ohmyseason.fr.
Parce que parler, c’est déjà agir.